5 A propos d’un article d’Adrien Planté, chef de Parquet à St Palais en 1910

 

« Une race maudite : les Bohémiens du Pays Basque », c’est le titre de l’article publié en 1910 par le Bulletin de la Société Archéologique du Gers et signé d’Adrien Planté, chef de Parquet à Saint-Palais pour l’arrondissement de Mauléon. Évoquant un « pays dépeuplé par le fléau de l’émigration », l’homme de loi revient sur un recensement de 1873 effectué à son initiative sur l’arrondissement. 406 Bohémiens y avaient été dénombrés et ainsi répartis : 3 Bohémiens d'une seule et même famille dans le canton de Tardets ; 11 dans celui de Mauléon ; 113 pour Saint-Palais ; 187 pour Iholdy ; 57 pour Saint-Jean-Pied-de-Port et 35 enfin pour le canton de Baigorry.

Rapportant cette population bohémienne aux 62 309 habitants de l’arrondissement, Adrien Planté s'étonne qu'une « infime minorité puisse tenir en échec une population compacte et résolue ». Sa description des Bohémiens n’est pas sans évoquer certaines autres précédemment parcourues dans la présente recherche… Ainsi en est-il de leurs métiers : la fabrication de paniers « à l’aide d’osiers qu’ils dérobent », et la tonte des animaux « sur lesquels ils excellent à pratiquer d’habiles truquages ». Ou encore de « l’accouplement plutôt que le mariage » et de la nombreuse progéniture née d’unions temporaires.

Le vol figure également ici en bonne place dans les traits distinctifs du Bohémien que dépeint Andrien Planté. « Il est rare de trouver un Bohémien sans argent ou une Bohémienne mendiant. Leurs femmes sont généralement bien mises ; les jours de fêtes, le luxe relatif de leur tenue s'explique par les prélèvements de vêtements et de linge effectués dans de riches armoires dévalisées. Les Bohémiens souffrent rarement de la faim, ils savent admirablement se garer de ce mal ; lorsqu'ils le redoutent, ils vont faire à domicile des quêtes en nature, auxquelles les malheureux propriétaires hésitent à se soustraire. Les maisons isolées sont journellement visitées par ces bandits qui vont, souvent avec menaces, imposer des exigences auxquelles il est fait droit, bon gré, mal gré, sous la forme de gros morceaux de pains, de tranches de jambons, de quartiers de mouton, sans compter les volailles et les légumes qu'ils ont razziés ; ils enfilent le tout le long de longues perches qu'ils promènent ainsi décorées, à travers les villages, certains que l'exemple des générosités qui ont formé ces confortables trophées sera scrupuleusement suivi par d'autres. »

Dans son article, Adrien Planté évoque ensuite un « mystère impénétrable », celui de la disparition des corps des vieillards qui décèdent. Plusieurs explications sont avancées dont l’une prétend qu’ils seraient mangés, et une autre incinérés avant que leurs cendres soient jetées au vent. Adrien Planté en retient une autre : les Bohémiens détourneraient les ruisseaux de montagnes pour creuser les tombes avant de faire revenir l'eau dans le lit des rivières.

Ce genre de pratiques n’exclut pas toutefois les bons sentiments, reconnaît l’ancien chef de Parquet de Saint-Palais. En témoignent les aventures d'un « superbe Bohémien » dénommé Laplace. Celui-ci, au cours d'une bagarre, tua son adversaire d’un coup de makila et fut envoyé au bagne de Toulon. Gracié pour avoir sauvé de la noyade l’un de ses gardes, il s’en revint chez lui à Saint-Palais. Pour remercier l'État de lui avoir rendu sa liberté, l’homme alla trouver le chef de Parquet à qui il promit d'aider la justice à découvrir les auteurs des nombreux crimes et de détourner ses frères bohémiens de leurs criminelles habitudes. Il refit la même visite à tous les chefs de Parquet à Saint Palais, dont Adrien Planté lui-même en 1873...

Pour ce dernier, Laplace est « l'exception qui confirme la règle », et il ne laisse guère d’illusions à celles et ceux tentés d'œuvrer à la moralisation et à l’instruction des Bohémiens. « Les essais tentés jusqu'à ce jour sont restés infructueux. Il est des torrents qu'on ne peut endiguer; il est des granits que l'on ne peut polir », commente-t-il.